Il était comme chez lui, mercredi dernier, Rémi Rivas. Après tout, c’est normal, notre histoire remonte à loin : « Je n’aurais jamais été freelance si ça n’avait pas été pour le Laptop. » La réciproque est vraie et Laptop n’aurait pas été le même si nous n’avions pas rencontré Rémi.
Rémi a un profil particulier et pour sa conférence la semaine dernière, il voulait revenir aux sources : son début de carrière dans le marketing. Co-fondateur d’Ignited Kingdom et designer consultant, il n’a pas oublié d’où il vient, et voulait réconcilier avec nous ces deux visions. Comment faire confiance au marketing à l’ère du “bullshit numérique” ? Comment, en tant que designer, dépasser le “si je le construis, les utilisateurs viendront” ?
« Bon, que les choses soient claires : le meilleur marketing du monde ne sauvera jamais un produit nul », lâche-t-il dans un rire. Vous avez manqué sa conférence ? Nous avons résumé les grands points pour vous.
L’innovation, déjà, n’est pas l’invention. Il ne suffit pas d’avoir une prétendue bonne idée et de la concevoir de bout en bout pour obtenir un vrai succès. “De manière générale, dès que vous trouvez quelque chose de dingue qui vient d’avoir un succès fou, vous pouvez être sûr que quelqu’un l’a déjà fait 5 ans auparavant sans que personne n’en parle.” On peut penser à General Magic, l’entreprise qui inventa l’Iphone 20 ans avant Steve Jobs…
La temporalité, donc, est clé. Mais ça ne s’arrête pas là. Rémi nous le dit, ce qui fait la différence entre un produit qui tombe dans l’oubli et un qui décolle, c’est qu’on nous a recommandé le second.
“Je me suis rendu compte que je n’avais jamais compris la courbe d’innovation de Rogers avant”, glisse Rémi. Pour cause : l’adoption d’un produit par un marché de plus en plus grand ne se fait pas en une journée, et jamais sans soutien à la diffusion.
“Cette courbe, ça n’est pas juste de l’adoption. C’est de la propagation. Les gens d’un segment achètent systématiquement la satisfaction du segment d’avant.” La “diffusion de l’innovation” est en réalité une évolution de la confiance du produit sur le long terme.
Sa définition est alors la suivante : “L’innovation, c’est des bonnes idées qui se répandent !”
Pour faire se répandre ces bonnes idées, il faut donc deux choses : une valeur du produit (design) et une confiance en ce produit (marketing).
Conventionnellement, nous dit Rémi, la publicité “c’est acheter quelque chose parce qu’on a été interrompu par un signal, et réaliser à quel point on s’est fait enfler en ouvrant le carton”. De nos jours, c’est plus compliqué, parce que si le stimulus existe toujours, entre ce moment et celui de l’achat les utilisateurs vont comparer, lire des critiques ou tests d’autres internautes et se faire un avis.
Excellente nouvelle pour le design ! L’important réside donc dans le fait de faire un bon produit qui procure une émotion et nous pousse à en faire la promotion.
Le bon marketing, dans ce cas-là, épaule les personnes qui veulent témoigner, et à faire se répandre les recommandations et idées des utilisateurs satisfaits. Le marketing, cependant, ne doit pas arriver trop tard dans le produit. C’est le fameux mythe de Field of Dreams : “Construis-le, et ils viendront” auquel il faut tordre le cou.
“25% des applications téléchargées ne survivent pas à leur première utilisation”, nous dit Rémi. Et c’est pour ceci qu’en designant, il faut considérer ces trois questions :
“S’il-vous-plaît, dites-moi que vous n’utiliserez pas ces conseils pour embarquer les gens dans un schéma pyramidal horrible, c’est tout ce que je vous demande” lâche Rémi en riant. “Gardez aussi à l’esprit que ça ne peut fonctionner que si votre produit respire l’UX. Ça n’est pas de la pâte à tartiner par dessus un produit pas terrible.”
Un produit dont l’utilité est directement liée au nombre de personnes qui sont dessus peut vous ramener beaucoup plus d’utilisateurs. Pensez Whatsapp à ses débuts, ou GoogleSheets, qui, alors que moins performant qu’Excel, a gagné en utilisateurs grâce à son outil de collaboration.
Montrez que tout ce que vous produisez sort bien de chez vous. 34% d’internet est ainsi “Fièrement propulsé par WordPress”. Mailchimp, lorsque vous envoyez une newsletter, fait savoir à vos récipients que c’est leur solution qui a rendu votre mail si beau et sympa à lire. En le combinant à un CTA au bon endroit, vous êtes sûrs d’attirer à vous des curieux.
Airbnb offrait à une période 50 euros à donner à un ami pour qu’il ou elle teste la solution à son tour. Comme la recommandation arrive d’un tiers de confiance (quelqu’un voulant bien vous faire cadeau de 50 euros), la conversion est plus évidente. Des contenus spéciaux pour les “vrais” fonctionnent très bien : Coca-Cola avec les noms sur les bouteilles en fait doubler la valeur émotionnelle.
Plus l’effort à faire est moindre, plus la propension à exécuter est grande ! Pensez Trainline et sa fonctionnalité de partage d’horaires par email pré-écrit.
Citymapper vous propose d’envoyer à vos amis votre trajet en direct, pour prévoir les ETA (estimated time of arrival). Même sans application, on peut profiter de cette fonctionnalité. Mais l’appli en elle-même n’est qu’à un clic.
Quand votre service demande un grand effort d’acquisition, faites le chemin pour l’utilisateur. Nextdoor connaissait ce problème. Si la communication entre voisins était déjà bonne, pourquoi la changer ? Et, à l’opposé, comment faire se parler des gens qui, de toute évidence, ne le souhaitent pas ? Nextdoor envoyait donc des cartes postales ou affiches pré-imprimées à mettre dans les halls d’entrée d’immeuble.
Fortnite notamment a connu un essor fulgurant grâce à une communauté chouchoutée, encouragée, mise en valeur sur les réseaux sociaux. Pourquoi payer pour un encart publicitaire lorsque des joueurs de foot imitent les danses de victoire du jeu quand ils marquent un but ?…
Youtube, chaîne Playstation -via Rémi Rivas
Faites comprendre à vos utilisateurs qu’avec leurs amis et connaissances, leur but sera atteint plus rapidement. C’est un mécanisme très utilisé dans le crowdfunding, mais qui, avec une véritable récompense physique ou émotionnelle, peut être très efficace en acquisition.
Rien de mieux pour créer de l’anticipation que de de jouer sur l’exclusivité de votre solution. Souvenez-vous des trois invitations Gmail…
High-five de Mailchimp, jeu du T-Rex de Google… Des fois, il faut juste être complètement décalé, créatif, original, et proposer une interaction complètement différente à ses utilisateurs pour en faire un véritable facteur d’acquisition. C’est de l’émotion à un stade de simplicité qui est toujours inspirant.
Elle est là, la clé. C’est, selon Rémi, une des raisons pour lesquelles les conférences d’Al Gore ont si bien fonctionné. La diffusion de ses supports et d’une formation a permis à son message de se diffuser par un réseau de pairs avec des résultats inespérés. Pourquoi ? “Il diffusait de la confiance. On écoute avant tout les gens que l’on connaît.”
“Ca n’est pas à vous de faire votre marketing”, conclut Rémi. “C’est vos clients satisfaits qui feront le gros du travail. Vous, facilitez-leur la vie. ”
On retrouve cette approche notamment dans le product-led growth, où les propriétés intrinsèques du produit facilitent son partage et sa croissance. Pensez votre design comme un vecteur d’interaction, de partage, d’émotion, au delà de (ou grâce à) votre produit.
Pour voir les trente premières minutes de la conférence de Rémi (et le remercier encore de notre part), c’est ici :
Dernière modification de cette page : 26 janvier 2023, 15:16
FIGMA, UI DESIGN, ACCESSIBILITÉ NUMÉRIQUE