Selon le premier ministre Jean Castex, « Les tiers-lieux sont le visage de la France qui se réinvente au quotidien ». Cela ne pouvait qu’aiguiser notre curiosité quant à ces 3000 espaces recensés par le rapport de l’association France Tiers Lieux. Nous avons donc cherché à comprendre en quoi les Tiers-Lieux participent à la création d’une nouvelle économie qui vient bouleverser les habitudes des designers ?
Mais qu’est-ce (donc) qu’un Tiers-Lieu(x) ?
Dès 2017, à travers l’exposition “Fork the world” conçue par le collectif de designers RDC, la biennale du Design de Saint Etienne, tentait de répondre à la question : Mais qu’est-ce (donc) qu’un Tiers-Lieu(x) ?
Pour Olivier Peyricot, à l’époque directeur du pôle recherche de la Cité du Design et directeur scientifique de la biennale, les Tiers-Lieux sont des lieux autogérés organisés autour de pratiques amateurs expertes. Ce sont avant tout des collectifs qui inventent de nouvelles manières de vivre et de travailler ensemble basées sur l’ouverture, le partage et l’entrepreneuriat social.
Le terme “Fork” désigne, en langage informatique, un logiciel créé à partir du code source d’un autre. Un terme qui fait écho à l’impact des technologies de l’information et de la communication dans l’histoire des Tiers-Lieux mais aussi à leur capacité de création.
Le libre comme philosophie et le bricolage comme ADN
La philosophie du mouvement Tiers-Lieux est fortement influencée par la révolution numérique, les logiques Open Source et le logiciel libre. La désignation s’applique aux logiciels non propriétaires qui, via un système de licences, permettent aux utilisateurs d’utiliser gratuitement le logiciel, d’accéder aux codes sources et de créer des produits dérivés à partir de ce dernier.
Les Tiers-Lieux sont également influencés par la culture Do It Yourself. En effet, pour certains spécialistes du sujet, les Tiers-Lieux sont nés avec les premiers squats d’artistes dès les années 80. Portés par le mouvement Punk, le DIY désigne à la fois des activités visant à créer ou réparer des objets de la vie courante, technologiques (hacking), ou artistiques de façon artisanale.
La naissance du mouvement Maker
L’accessibilité grandissante des outils de conception et de fabrication numérique associée à l’émergence d’outils facilitant le partage d’idées et les logiques collaboratives ont rendu possible la création et le développement des Fablabs et autres ateliers partagés. Ces espaces sont aujourd’hui devenus le repaire des Makers.
Plus que les objets produits et les technologies utilisées, c’est avant tout son esprit collaboratif qui définit le mouvement Maker. Le partage est inhérent à la culture Maker, qu’il s’agisse de s’entraider sur des projets au sein des ateliers, de donner des cours ou de mettre à disposition gratuitement les plans et processus de fabrication de ses objets.
En France, l’appel à projet “Manufactures de proximité” proposé par le gouvernement dans le cadre du plan France Relance montre l’intérêt grandissant pour cette nouvelle forme d’économie, basée sur le partage, l’éthique et l’autonomie de l’utilisateur.
Une nouvelle manière de faire du Design ?
Influencé par le mouvement Maker, le terme d’Open Design fait son apparition. Selon Ronen Kadushin, le concept désigne un objet ouvert, publié sous licence libre dont les plans sont accessibles (au téléchargement, à la production, copie et modification), produit à partir de machines à commandes numériques. Quiconque a accès à ces machines peut donc le produire lui-même.
Malgré l’apparition récente du terme d’Open Design, son origine remonte aux années 70 et aux travaux du célèbre designer et chercheur Victor Papanek. Dans son ouvrage “Design pour le monde réel”, il milite pour le développement de l’éco-conception et la fin des brevets. En 1965, pour l’Unesco, il réalise la Tin Car Radio, une radio alimentée par une bougie, du bois ou des excréments de vache séchés, et pour lequel il n’a pas travaillé l’esthétique pour ne pas influencer les futurs utilisateurs.
Avec ses recherches et ses travaux, Victor Papanek ouvre ainsi la voie pour un design accessible au plus grand nombre permettant aux utilisateurs d’en comprendre le fonctionnement et de participer activement à son esthétique.
Pour un designer médiateur
Le mouvement Maker brouille la frontière entre pratique amateur et professionnelle. Dans un monde où chacun devient producteur, on peut alors s’interroger sur le rôle et la place du designer.
Camille Bosqué à la fois designer, chercheur et enseignante s’intéresse depuis de nombreuses années au mouvement Maker et au développement des Fablabs. Dans son ouvrage ”Open Design” elle revient sur les travaux de Victor Papanek et milite pour que les designers évoluent vers un rôle de médiateur. À l’instar d’un Fablab manager qui rend accessible les technologies de conception numérique, le rôle du designer/médiateur est de redonner le pouvoir aux usagers en leur permettant de s’approprier, de détourner, de bricoler un objet, un service, une ressource ou même une information, une donnée.
En réunissant les communautés de pratiques et d’intérêt, en inventant de nouveaux modèles économiques et de gouvernance, les Tiers-Lieux offrent aujourd’hui un cadre permettant au Design de repenser, “forker”, “hacker” nos manières de produire et de vivre ensemble.
Dernière modification de cette page : 26 janvier 2023, 15:12
DESIGN EMOTIONNEL, SPRINT AGILE, FIGMA AVANCÉ, UI DESIGN